









Voilà on est revenues.
Oh, on n’était pas bien loin, quelques milliers de kilomètres tout au plus. On avait quelques jours, et à force de chercher où poser nos valises pour cinq jours, sans exploser le budget – le prix des billets d’avion s’envole – on a opté pour Porto. À peine le temps d’aller acheter un guide et de regarder, par hasard, un tuto sur comment acheter un billet de métro, et nous voilà parties. Que l’aventure commence !
Et elle commence dès l’achat des dits tickets de métro ! Une foule de touristes s’agglutine devant les six distributeurs automatiques. C’est long, car personnes n’y comprend rien et nobody à l’horizon pour venir en aide à ces malheureux en mal d’explication ! Alors, fortes de notre expérience virtuelle, on a pris les choses en mains, pour deux des machines, tout du moins, et aidé un couple de français et un papi franco portugais en charge d’acheter des tickets pour sa femme et sa fille. Les deux femmes s’étaient mises en retrait et ne cherchaient même pas à aider le bonhomme en plein désarroi, gémissant devant l’automate récalcitrant à lui cracher ses tickets. Bref, on a raté le métro et attendu plus de vingt minutes le suivant.
Porto, nous voilà !
Les stations défilent, non ce n’est pas direct ! À un arrêt, une fille monte dans la rame et attire notre regard. Il fait chaud et pourtant, elle porte une tenue stricte, limite austère : jupe droite, veste, collant, chaussures à petits talons et bouts carrés, le tout noir. Chemise blanche. Sur son épaule, est jetée ce qui ressemble à une couverture pliée, noire elle aussi ! D’autres filles plus loin, portent la même tenue ! Bizarre !
Arrivée à Trindade, la station centrale, là, c’est une foule de jeunes gens portant chapeaux haut-de-forme de couleurs qui ont envahi le quartier. Les garçons portent un costume à la veste mi-longue. La couverture s’avère être une cape, qui tombe aux chevilles. Mais que font tous ces jeunes ainsi déguisés ? On les croirait tout droit sortis de Poudlard, mais c’est JK Rowling, qui s’est inspiré de la « capa e batina », ce costume indissociable de la « praxe académica » qui remonte au XIVe siècles, et qui marque la Queima das Fitas, la célébration de fin de cursus universitaire pour les uns, et l’intégration des étudiants de première année dans les associations universitaires, pour les autres. Bizuteurs et bizutés vont défiler dans la ville sous les regards d’une foule amassée sur le tracé du parcours. Parmi les badauds, on reconnaît les parents venus suivre le défilé, parce qu’ils tiennent à la main des roses peinturlurées aux couleurs des chapeaux de leurs rejetons. C’est le bordel. Nous, on se fraye un chemin comme on peut pour trouver notre hôtel. Voilà un début de voyage inattendu et singulier ! Valises posées, on repart à l’assaut de Porto. La fête s’étire jusqu’à la place de la liberté qui porte bien son nom en ce jour de célébration. L’alcool coule à flot ! Les étudiants braillent et se lancent dans de courtes cavalcades. C’est joyeux et semble-t-il bon enfant. Plus tard, nous en croiserons certains juchés sur une fontaine jouant à s’éclabousser et d’autres, qui sans doute, relevant un défi, se jetteront dans le bassin à l’eau bien saumâtre, d’un jardin de la ville.
Le reste de Porto semble ignorer ce tumulte. Des hordes différentes ont envahi la ville, plus paisibles mais bien présentes : Celles des touristes. On n’est pas toutes seules à avoir eu l’idée de s’offrir un coin du Portugal. Qu’importe, en ce premier après-midi, nous, comme souvent, on prend nos marques. On part à l’aventure. On se balade. Ça descend sec jusqu’au Douro. Ça va remonter sévère.









Comme elles sont jolies ces maisons ornées de carreaux de faïence et… abandonnées. Derrière la beauté se cache la misère ! C’est ce qui nous frappe tout de suite. Beaucoup d’habitations, des plus modestes aux plus nobles, de boutiques, d’entrepôts ou autres ne sont plus que carcasses vides. Toits effondrés, portes et fenêtres murées, façades décrépites… Partout dans la ville, ce même spectacle de désolation s’offre à nous. Bon nombre d’entre elles portent la mention à vendre, d’autres affichent sur leurs façades des avis, dont on n’a pas trop compris la teneur. Peut-être des mises en demeure d’expropriation par la mairie, en vue de les réhabiliter ! Ce serait bien. Mais la tâche est colossale. On avait lu que le quartier historique s’était vidé de ses habitants. Mais là, c’est incroyable, car le phénomène affecte tous les quartiers y compris ceux très touristiques et du bord du fleuve. Imaginez l’île de la Cité, ou les Champs Élysée, bordés de bâtiments murés ! On pourrait croire que cette désolation s’explique par la marchandisation des biens à visée touristiques donc lucrative, qui empêcherait la population locale de ce logeait. Mais la multiplication des appartements touristiques n’explique pas tout et même, elle contribue à la réhabilitation de bon nombre de ruines. Non, Porto est une vieille ville avec ses maux, et pendant longtemps, une politique des loyers gelés à une somme dérisoire, mise en place par en 1947 par Salazar, qui a perduré pendant des décennies, n’a pas aidé les propriétaires à rénover leurs biens. D’autre part, la ville, dans les années 70, a décidé d’une politique de logements sociaux hors-les-murs, avec tout le confort moderne qui manquait en ville, ainsi, ce sont pour la plupart les personnes âgées, qui sont restées, et leurs maisons ont vieilli avec elles. D’ailleurs, à y regarder de près, beaucoup de maisons habitées ne sont pas en bien meilleur état. Nous, on ne voyant dans ce flot de misère que de belles pépites à sauver. On se prenait à rêver que l’on avait touché le jackpot de l’Euromillions pour racheter ici, cet immense bâtiment des pompes funèbres recouvert de carreaux de faïence verts, là cette maison à la façade bleue, et là au bord du Douro, cet immense entrepôt envahi par la végétation. Ça, on en avait plein la tête des projets immobiliers à lancer, des trésors à rebâtir… Parce qu’elle est tellement belle cette ville malgré ses oripeaux !
On a descendu et gravi des collines. On avait les jambes en feu. Mais le séjour ne faisait que commencer…
Il y avait toutes ses églises à visiter, le Douro à naviguer, le pont à traverser et la mer…
Ah, les églises… Bien sûr, on les a presque toutes visitées. Pour la plupart, elles datent du XVIIIe siècle mais ce n’est qu’au début XXe, que ces dames se sont parées de bleu ! Certaines affichent un décor intérieur d’une richesse ostentatoire à faire pâlir Crésus. C’est le cas de la Igreja de Sao Francisco. Alors là, c’est le pompon. Bâtie par les frères Franciscains au début du XIIIe siècle, l’église est passée d’une construction conforme à celle de cet ordre mendiant à l’opulence la plus clinquante. On a été estomaquées par tant d’ornements et de sculptures toutes recouvertes d’or. Les mecs qui ont conçu le projet, ont oublié qu’ils œuvraient pour Dieu. À se demander ce qui leur est passé par la tête. Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, ils ont décoré et décoré et redécoré… Y’en a partout ! La plupart des surfaces intérieures, y compris les murs, les colonnes, le toit et les chapelles latérales ont été revêtus de « talha dourada » baroques, boiseries sculptées et recouvertes d’or. Il a fallu 500 kilos du métal précieux pour recouvrir le bordel. À tel point que même les autorités religieuses ont un temps fermé le lieu au culte tant il était éloigné des valeurs de pauvreté prônées par les Franciscains et était indécent un tel étalage de richesse alors que dehors la misère était crasse ! Mais on y est resté longtemps. En fond sonore, un chant religieux chanté par des femmes résonnait et nous berçait. Pour un peu, on se serait couchées sur un banc et endormies !
On s’est éternisées dans la gare, elle aussi toute de carreaux bleus décorés. Sublime. On a grimpé tout en haut de la tour de la cathédrale Sé… Les marches tellement nombreuses, nous arrivaient à mi-tibias ! On a failli en cracher notre cœur et nos poumons ! Un aller simple vers le paradis. Amen !
On a continué notre route… On a descendu et gravi des collines. On avait les jambes en feu. Mais le séjour continuait…











On a traversé le Douro. On a emprunté l’impressionnant pont Dom Luis I, construit selon les plans de Théophile Seyrig, collaborateur d’Eiffel, qui enjambe le fleuve. Plusieurs fois, même, tant le spectacle est beau. On a rejoint l’autre rive. Ici, ce n’est plus Porto, mais Vila Nova de Gaia, où se tiennent les grosses maisons de vins de Porto : W. & J. Graham’s, Taylors, Ramos Pinto, Calem, Sandeman… On a croisé un lapin et on s’est attablées à la terrasse du marcado Beira-Rio, qui rassemble plusieurs stands de cuisine locale, et goûté un arroz de marisco et des crevettes à l’huile, ail et citron. Après on a pris le bateau, fait le tour des six ponts, admiré les deux villes qui s’élevaient et s’étiraient le long du fleuve et puis, on a cramé ! On a repris le pont, regardé le coucher de soleil et un soir, on a vu la brume ramper d’une rive à l’autre, comme un serpent humide.
Pour une journée, direction l’océan ! Métro, direction Matosinhos, station mercado, ligne A, et voilà, enfin pas tout à fait, il faut marcher – pas mal – pour mériter la mer. Traverser un pont, suivre les gens qui ont l’air de savoir où ils vont, bardés de leurs lourds bagages. Pourquoi, tous ces gens, armés de leurs bâtons de marche, portent-ils tous sur des sacs à dos ? Où vont-ils ? Pour aller se baigner, il ne faut guère qu’un maillot et une serviette ! Ah y regarder de plus près, ils ont décoré leurs effets d’une coquille… Ah, c’est ça, nous sommes sur la route atlantique de Saint-Jacques-de-Compostelle. Nous nous joignons aux pèlerins, mais notre chemin s’arrête sur le sable blanc. Inutile d’aller bien loin, le meilleur endroit pour se baigner se trouve en face du Mc Do. Ailleurs la plage fait place aux rochers. on a marché longtemps pour aboutir à ce constat et revenir sur nos pas. On s’est baignées dans une eau secouée de rouleaux et froide comme la glace ; Mangé des croquetes de carne, des pastéis de bacalhau et des pilons de poulet au piri-piri achetés au supermarché du coin. Pas mauvais mais un peu salés. On est reparti et la route s’est dressée sur notre chemin. Pas un miracle de Dieu sur cette route sacrée, non, juste le pont que nous avions emprunté à l’aller qui s’est levé pour faire passer un énorme navire, et la force de résignation devant tant de lenteur !
Retour à porto. Après tous ces efforts on s’est dit qu’on allait exploser notre quota de gras en goûtant la spécialité du coin, les francesinhas, sorte de croque-madame version XXL, au café Santiago, réputé pour ce plat. Qui a dit que c’était bon ? On ne s’attendait pas à cet empilement ! Entre deux tranches de pain de mie épais, il y avait une tranche de jambon, une tranche de bacon très salé, un steak – fin, mais un steak ! – cuit comme une semelle, le tout recouvert de fromage, surplombé d’un œuf et baignant dans une sauce au poivron, on ne sait pas trop, et servi avec des frites. Au premier coup de fourchette on a explosé de rire tant le truc nous paraissait improbable ! Un peu comme l’église décrite au-dessus, un mec, un jour, c’est dit en faisant un croque-monsieur : « Tiens, et si j’« up-gradais le game » et rajoutais des niveaux ». Personne n’a eu l’idée de lui faire fermer boutique pour étalage ostentatoire de fat et de sel ! Vous l’avez compris on n’est pas fans. Nan, mais si vous allez à Porto, faut goûter quand même !












On a croisé et recroisé un chat bleu et un bébé grognon. On a descendu et gravi des collines. On avait les jambes en feu et le séjour touchait presque à sa fin.
On est allé au Mac Donald de la place de la Liberté, encore elle ! Ben si, le lieu est dingue. Un aigle royal sculpté surplombe la porte et l’intérieur est tout de lustres et vitraux art déco. On a jeté l’éponge devant la queue pour visiter la librairie Lello, la plus belle d’Europe, rien de moins, rendue célèbre pour avoir, là encore, inspiré JK Rowling pour la bibliothèque de Dumbledore. Cinq euros l’entrée tout de même. On a marché encore et encore, fait des emplettes de pâtés de sardines et de savons. Évidemment on a mangé. On a grignoté des pasteis des nata nimbées de cannelle à la fabrica de nata, fait des comparatifs de croquetes de carne et des pastéis de bacalhau un peu partout. On a goûté un croissant jaune poussin- pas génial – une espèce de sandwich chaud de pain brioché au jambon et fromage, salé, et des empanadas à la viande, salées aussi. On a siroté de la bière dans l’un des bars qui pullulent sur les rives du Douro. On est retourné au marcado Beira-Rio manger de la bacalhau à bras et des caldos verdes, soupe de patates, de choux et saucisses. Comme on voulait manger du vert, on est allées prendre un déj chez Nicolau, sympa mais sans plus niveau goût, du moins pour le salé. Pas besoin qu’on vous fasse un dessin, on a adoré Porto mais moins la nourriture !
Ah et il faut absolument que l’on vous dise, un soir en se baladant sur le bord du Douro, sur un quai de mise à l’eau des bateaux, juste en contrebas de celui grouillant de touristes, on a fait la plus insolite des rencontres : Une loutre ! Elle était là, tranquillement en train de manger un poisson qui craquait sous ses dents, indifférente à ceux qui comme nous l’observaient, et au brouhaha ambiant… Porto révèle bien des surprises à qui sait la regarder !



Réalisation et photos : Sandrine et Muriel Zakri
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